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Guerre en République démocratique du Congo : Tshisekedi ne vaut pas mieux que Kagamé. Pour une discussion avec la direction de LFI sur l’analyse de la guerre en RDC

Tribune libre d'un camarade de la Tendance Claire
Depuis la nouvelle offensive du mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), la direction de la France insoumise apporte une nouvelle fois son soutien à la RDC et condamne le Rwanda, présenté comme principal responsable de la guerre. C’est une ligne constante de LFI. Déjà, le 16 février 2024, le département « Politique internationale » publiait un communiqué intitulé « Soutien à la République Démocratique du Congo », où il écrivait : « Si le Rwanda n’est pas le seul responsable de l’insécurité généralisée à l’Est de la RDC, son président Paul Kagamé n’a jamais caché sa volonté de maintenir un contrôle de tout ou partie de la région des grands lacs qu’il considère comme appartenant à son pays. Il porte une responsabilité déterminante dans les agissements du M23. » Dès lors, LFI estimait que « la France [...] doit clairement rappeler le Rwanda aux obligations du cessez-le-feu négocié l’an dernier ». Récemment, comme elle l’a déjà fait plusieurs fois auparavant, LFI a pris l’initiative d’une proposition de résolution à l’Assemblée nationale pour que la France condamne l’ingérence du Rwanda en RDC à travers le M23.
LFI soutient la RDC et même son président Tshisekedi
Mais la direction de LFI ne se contente pas de condamner cette ingérence du Rwanda au nom du droit international. En outre, elle apporte son soutien politique au président de la RDC, Félix Tshisekedi. En octobre 2023, peu avant les élections générales en RDC (présidentielle, législatives et communales), le camarade Mélenchon avait non seulement « affirmé sa "fraternité" avec la RDC face aux "exactions" du Rwanda », mais aussi soutenu de facto le président sortant, qui se présentait pour un second mandat, allant jusqu’à accuser le Rwanda de vouloir fausser le résultat des élections (voir le compte rendu officiel fait par la présidence congolaise et l'article du Monde). Encore plus explicite, le camarade et député LFI Carlos Martens Bilongo, lui-même d’origine congolaise, avait rencontré le président Tshisekedi le 26 juillet 2023 pour discuter de « la politique, la diplomatie et la sécurité ». Selon le média Congo inter, C. M. Bilongo a rapporté cet entretien de la façon suivante : « Nous avons beaucoup discuté de l’insécurité qui sévit dans la partie Est du pays. Je condamne cette agression de la RDC par le M23 soutenu par le Rwanda. » Et il a ajouté : « Le Président Tshisekedi est un père pour moi de par son âge et sa sagesse. On a aussi échangé sur notre vision politique. Pour moi, c’est nouveau de connaître les enjeux politiques au pays et de voir comment ça peut converger avec les intérêts français. »
En un mot, LFI soutient que le Rwanda est le principal responsable de la guerre, que le M23 n’est qu’un instrument du Rwanda, que la RDC est une victime des visées expansionnistes de son voisin, que Tshisekedi mérite d’être soutenu et le député Bilongo ajoute même qu’il serait un modèle, un « sage ». Pourtant, il est difficile de trouver dans les productions de LFI des justifications de ces prises de position. À notre connaissance, LFI n’a pas élaboré d’analyses de fond du conflit actuel en RDC, ni des dynamiques qui y ont conduit, ni même des raisons permettant d’expliquer la crise qui dure depuis plusieurs décennies. Tout se passe comme si LFI n’avait pas conscience que ses engagements ne vont pas de soi, que ces questions sont débattues et méritent donc pour le moins des prises de position étayées. De plus, s’il est certes juste de ne pas donner de leçons au peuple congolais, comme l’a rappelé Mélenchon lors de sa visite en RDC en octobre 2023, cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas critiquer le pouvoir congolais, comme du reste le même Mélenchon ne s’en prive pas quand il s’agit du Rwanda ; or nous n’avons trouvé aucune critique de la direction de LFI à l’égard du pouvoir congolais, mais il semble que sa nature et sa politique lui conviennent. Enfin, le fait que LFI explique la crise entre la RDC et le Rwanda uniquement en termes d’ingérence du Rwanda et d’objectif de prendre le contrôle des minerais est d’autant plus étonnant que cela conduit LFI à se retrouver pour une fois sur la même longueur d’ondes que la plupart des médias et des États impérialistes : depuis que le M23 a repris ses offensives à l’Est de la RDC, en novembre 2021, et plus encore depuis qu’il a pris le contrôle du Nord Kivu en début d’année, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne, l’ONU, le Parlement européen, mais aussi la France (quoique plus mollement) dénoncent la violation de l’intégrité territoriale de la RDC par le Rwanda (NOTE 1). Comme le M23 a pris en outre le contrôle de la mine de coltan de Rubaya fin 2024, les grandes puissances s’indignent encore plus, accusant le Rwanda de vouloir piller les minerais congolais (NOTE 2). Bien sûr, il peut arriver que les positions d’États impérialistes rejoignent des positions justes – non par amour de la paix et de la liberté, mais simplement parce que leurs intérêts les y poussent. Il convient toutefois de vérifier ce qu’il en est
LFI et bien d’autres, même parmi des partis et des médias qui n’ont rien d’anticapitaliste, reprochent certes à Macron de ne pas dénoncer assez fort le Rwanda et expliquent cette mollesse par les intérêts de la France, notamment parce que le Rwanda assure une aide militaire au Mozambique dans la lutte contre des djihadistes – aide qui profite aussi à la défense des intérêts de Total et d’Exxon Mobil dans ce pays. L’explication semble ainsi convaincante. Cependant, le Mozambique a évidemment intérêt à mater la rébellion djihadiste, mais il n’en a pas les moyens ; de son côté, le Rwanda a ses propres intérêts au Mozambique ; Total et Exxon Mobil ont certes intérêts eux aussi à ce que la région soit sécurisée, mais cela ne saurait suffire à expliquer l’opération rwandaise au Mozambique. Certes, la France a un peu plus d’intérêts à défendre avec le Rwanda qu’avec la RDC. Mais elle a bien dénoncé le soutien du Rwanda au M23 dès le 19 décembre 2022 : « Nous condamnons le soutien que le Rwanda apporte au groupe M23 », avait déclaré ce jour-le ministère des Affaires étrangères (Libération, 4 mars 2023). Il a été reproché à Macron de n’avoir pas été assez ferme lors de sa visite à Kinshasa début mars 2023, parce qu’il n’avait pas annoncé de sanctions contre le Rwanda. Il avait pourtant déclaré devant Tshisekedi : « La France a constamment condamné le M23 et tous ceux qui le soutiennent. Je suis ici pour que chacun prenne ses responsabilités, y compris le Rwanda » – que Macron avait menacé de sanctions (Libération, 4 mars 2023), sans passer alors à l’acte. Par ailleurs, il est reproché à l’UE d’avoir donné 20 millions d’euros à Kigali pour financer son opération au Mozambique, mais cela n’a rien à voir avec l’intervention en RDC (dont le Rwanda a tout à fait les moyens par lui-même) et il faut rappeler que, pour équilibrer, l’UE avait versé ensuite la même somme à la RDC (NOTE 3). Plus généralement, l’UE a des intérêts à la fois avec le Rwanda et avec la RDC, même s’ils peuvent être plus ou moins divergents selon les pays membres (NOTE 4). Il est donc simpliste d’accuser Macron et l’UE de soutenir le Rwanda contre la RDC, alors qu’ils cherchent en fait à leur faire renouer le fil du dialogue pour ouvrir des négociations de paix, même s’ils n’ont guère de pouvoir à cet égard. Il est encore plus simpliste de prétendre que le Rwanda serait le seul coupable de la guerre actuelle et que la RDC en serait une victime.
Kagamé est un dictateur et un fraudeur, mais Tshisekedi n’a rien à lui envier
Certes, l’État rwandais est loin d’être innocent. Il est dirigé depuis trente ans par Paul Kagamé, qui se comporte en interne comme un dictateur : accusé d’avoir fait assassiner de nombreux opposants et journalistes, il piétine les libertés publiques et se fait réélire à chaque scrutin avec des scores dépassant les 90%, évidemment frauduleux. Si sa politique économique a permis de donner au Rwanda un fort taux de croissance depuis 30 ans, grâce notamment à un holding polyvalent, Crystal Venture, appartenant au parti présidentiel et fonctionnant de façon plus ou moins opaque (voir le dossier de Jeune Afrique en mai 2023), cela n’a qu’assez peu profité à la population, qui reste globalement pauvre (même si sa situation s’est bien plus améliorée que celle de sa voisine congolaise durant la même période). De plus, le Rwanda endosse depuis plusieurs années un rôle de gendarme régional soutenu par certaines grandes puissances, à commencer par l’UE et la France en particulier, qui lui délèguent le rôle de maintien de l’ordre, comme en Centrafrique ou au Mozambique (où la France a des intérêts importants, via notamment Total). Enfin, il est établi que le Rwanda soutient le mouvement rebelle M23 : vaincu en 2023 par une coalition de la RDC, des troupes de l’ONU (MONUSCO), de l’Afrique du Sud, etc., ce mouvement est réapparu fin 2021, a gagné dès 2022 la ville congolaise de Bunagana, près de la frontière avec l’Ouganda, puis n’a cessé de gagner du terrain à l’Est de la RDC, jusqu’à établir son contrôle sur une région entière, le Nord Kivu, notamment les grandes villes de Goma et Bukavu, et étend même sa présence jusqu’au Sud Kivu.
Pour autant, la RDC est-elle dirigée par un président innocent, démocrate et « sage » ? Tshisekedi a été élu la première fois en 2018 de façon notoirement frauduleuse : tout le monde l’a su d’emblée, mais cela a été ensuite confirmé par Corneille Naanga lui-même, le président de la commission nationale électorale de l’époque qui, après avoir imposé le nouveau président, a rompu avec lui, dénoncé sa « dérive dictatoriale » et rejoint les rebelles (il est maintenant le chef du groupe, l’Alliance du fleuve Congo, lié au M23). Lors de la réélection de Tshisekedi en 2023, les soupçons de fraude massive ne sont pas moins étayés, d’autant qu’il n’a pas été capable de rassembler les foules pour sa campagne. En même temps que la présidentielle avaient eu lieu les élections législatives et communales. La coalition du président, « Union sacrée » aurait obtenu 90% des voix, score ressemblant à celui de Kagamé au Rwanda et évidemment tout aussi invraisemblable : de fait, le scrutin a été marqué par de « nombreuses irrégularités », comme l’ont souligné les observateurs de la conférence épiscopale, seule instance indépendante chargée de contrôler la validité du processus électoral (NOTE 5). Faute de bilan pouvant satisfaire un tant soit peu la population, Tshisekedi avait misé sa campagne sur un discours belliqueux contre le Rwanda, menaçant de lui déclarer la guerre « à la moindre escarmouche » et même de le bombarder : « Même pas besoin d’envoyer des troupes au sol : de chez nous on peut atteindre Kigali » (Libération du 20 décembre 2023). Et il avait ciblé son homologue dans les termes suivants : « Je veux m’adresser au président rwandais Paul Kagame, pour lui dire ceci : puisqu’il a voulu se comporter comme Adolf Hitler en ayant des visées expansionnistes, je lui promets qu’il finira comme Hitler. » Tshisekedi avait en outre accusé son principal opposant, Moïse Katumbi (qui attirait quant à lui des foules nombreuses dans ses meetings), d’être un « étranger », le «candidat du Rwanda ». L’Union européenne avait alors exprimé « son inquiétude face aux discours de haine, violences et incidents ayant marqué ces derniers jours de campagne. Les efforts visant à diviser la population sur la base de l’appartenance ethnique ou de l’origine et tout propos incitant à la violence sont inacceptables ». L’été dernier, Tshisekedi a remis en vigueur les condamnations à la peine de mort, espérant ainsi endiguer la vague de défections et de désertions qui balaie son armée à chaque fois qu’il veut envoyer des brigades combattre à l’Est (Le Monde, 9 août 2024).
Après avoir suscité des espoirs de changement en 2019, le règne de Tshisekedi a vu se poursuivre et se multiplier les accusations de corruption. La famille Tshisekedi disposerait d’avoirs miniers estimés à 320 milliards de dollars dans la région du Katanga (NOTE 6). Les opposants soutiennent que les contrats miniers ont été renégociés dans l’opacité, 10 millions de dollars destinés à la lutte contre le Covid ont disparu, les fonds rapportés par taxe sur les téléphone portables n’ont pas été inscrits au budget. Dès son premier mandat, lit-on dans Libération du 20 décembre 2023, « les accusations de détournements de fonds se multiplient. Le directeur de cabinet du Président est arrêté et jugé en 2020, accusé d’avoir détourné 50 millions de dollars ? Vital Kamerhe sera acquitté deux ans plus tard, sans que la somme ne soit jamais retrouvée. La même impunité vaudra pour Vidiye Tshimanga, conseiller spécial du Président chargé des affaires stratégiques. En septembre 2022, il se fait piéger par des journalistes munis de caméras cachées qui se présentent comme des investisseurs. Sans complexe, il leur détaille tout un système de rétrocommissions dans lequel il implique le Président. Le scandale est énorme. Il sera brièvement emprisonné, comparaîtra libre à son procès en décembre 2022 et sera acquitté. »
L’État de la RDC est entièrement corrompu et s’allie aux pires groupes armés
Mais la corruption n’est pas notoire seulement pour l’entourage du président. Elle concerne la plupart des élu-e-s au niveau national. En particulier, « l’Assemblée nationale est au cœur d’une enquête dévastatrice, réalisée par une ONG locale, le Centre de recherche en finance local et développement. Publiée le 9 mai [2024], elle dénonce la gestion des fonds publics d’une institution "caractérisée par la fraude et l’enrichissement illicite" lors de la précédente législature sous la première présidence Tshisekedi. Sur les plus d’un milliard de dollars dépensés, l’ONG a découvert des montants décaissés pour la construction de bureaux, d’un dispensaire ou d’un dépôt d’archives, qui n’ont jamais vu le jour. 90 millions de dollars ont été affectés à l’acquisition de véhicules, bien au-delà du "plafond autorisé de 4,5 millions de dollars", note le rapport. Lequel souligne "l’opacité dans laquelle baigne toute la gestion du Parlement congolais". En septembre 2022, le porte-parole d’un parti d’opposition, Lamuka, avait révélé puis détaillé les salaires dont bénéficient les députés et sénateurs. Avec les primes, ils s’élèvent à plus de 21 000 dollars par mois. Des révélations qui n’avaient pas été contredites à l’époque par les autorités. Le ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, s’était contenté d’admettre que "le train de vie institutionnel était un problème". Dans cette ancienne colonie belge, où 74,6% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, "les élus du Parlement congolais, composé de 500 députés et 108 sénateurs sont parmi les mieux rémunérés au monde", rappelait encore récemment le quotidien belge La Libre Belgique. » (Libération, 17 mai 2024) Voici quelques semaines encore, au forum économique de Davos, Tshisekedi et sa délégation ont dépensé 444 000 francs suisses dans un hôtel de luxe, comme l’ont dénoncé les députés suisses, d’autant plus choqués qu’ils venaient d’augmenter de trois millions l’aide de la Suisse aux populations congolaises, dont 80% vivent sous le seuil de pauvreté. Pour toute réponse, le ministre de la Communication de la RDC a accusé « le poison rwandais » d’avoir fait fuiter cette information pour nuire à la RDC (tribune déjà citée parue dans Libération le 26 février) ...
Tout cet argent de la corruption légale et illégale aurait pu être utilisé pour améliorer les conditions de vie de la population ou au moins pour faire fonctionner l’État. Après les élections générales de fin 2023, il a fallu attendre 6 mois pour que le gouvernement soit constitué, tant les divisions étaient profondes dans la coalition présidentielle. Plus gravement, l’armée de la RDC (FARDC) est dans une situation de crise chronique. Ses soldats touchent une solde misérable (91 euros par mois !) et se rattrapent en pillant la population. Beaucoup désertent pour rejoindre l’un ou l’autre des 200 groupes armés autonomes qui règnent sur de vastes territoires, surtout à l’Est, où ils se financent par l’exploitation des nombreuses mines de métaux précieux – coltan, étain et or au Kivu, mais aussi cobalt et cuivre dans d’autres régions, notamment dans le Haut-Katanga et le Lualaba, au Sud-Est de la RDC.
Ces groupes ont recours au travail forcé, y compris celui des enfants, et sont coupables de multiples exactions contre les populations. Cela n’empêche nullement l’armée de la RDC de s’allier avec eux, selon les circonstances – surtout quand il s’agit de combattre le M23, tout en se livrant à des exactions qui n’ont rien à envier aux autres groupes armés (NOTE 7). Pourtant, cette coalition de l’armée congolaise, de la plupart des groupes armés congolais, mais aussi de 10 000 militaires burundais, d’une force régionale dominée par les Sud-Africains, des troupes de l’ONU stationnées sur place depuis vingt ans (pour un budget de plus d’un milliard de dollars par an) et de 1000 mercenaires roumains (payés 5000 dollars par mois), a été vaincue en quelques semaines par le M23. Parmi les groupes armés présents à l’Est de la RDC, le M23 est le seul à être considéré comme le véritable ennemi par Kinshasa.
Comment le M23 a-t-il pu vaincre une gigantesque coalition militaire mobilisée contre lui ?
Il faut donc se demander comment le M23 a pu l’emporter contre une coalition si importante, d’autant que les dépenses d’armement de la RDC ont augmenté de 105% depuis 2022 – la plus forte augmentation du monde en pourcentage (enquête parue dans Libération fin novembre 2024). Le soutien de l’État rwandais a certes été décisif, mais il ne peut pas suffire à expliquer cette série de victoires spectaculaires. Le Rwanda a certes une armée forte et bien équipée, mais il faut tout de même rappeler qu’il est un petit pays de 10 millions d’habitants, alors que la RDC en compte dix fois plus. Surtout, si Kigali a envoyé des soldats (entre 3000 et 4000, selon l’estimation de l’ONU) pour renforcer le M23. Si le M23 a pu gagner contre cette énorme coalition, c’est probablement parce qu’il bénéficie d’un certain soutien de la population de l’Est du Congo, mais aussi au-delà, puisqu’il fait partie en fait d’une coalition appelée Alliance du fleuve Congo (AFC), laquelle a des partisans dans toute la RDC. Certes, le M23 est accusé d’exactions contre des populations civiles – et il n’est pas douteux qu’il en commette massivement, même si le M23 (NOTE 8) et des chercheurs (NOTE 9) contestent les chiffres de l’ONU ; mais tous les groupes armés et les FARDC elles-mêmes, commettent des atrocités à grande échelle, avec des preuves accablantes, de façon continue, depuis des années.
En tout cas, le M23 n’est nullement un groupe rwandais : depuis 30 ans, sous différents noms, il rassemble principalement des Congolais tutsis et plus généralement des Congolais rwandophones (swahiliphones), mais aussi bien d’autres Congolais depuis la constitution plus récente de la coalition Alliance du fleuve Congo. Le M23 lui-même avait été constitué en 2012 par des officiers et soldats de l’armée congolaise entrés en dissidence parce que Kinshasa n’avait pas tenu sa promesse, faite lors d’un accord de paix en 2009, d’intégrer réellement les Tutsis et les rwandophones en général dans les FARDC et d’en finir avec les Forces démocratiques de la libération du Rwanda (FDLR), le groupe armée des génocidaires hutus de 1994 réfugiés en RDC. Car en fait, l’ancêtre du M23 est le groupe d’autodéfense constitué au départ, à la fin des années 1990, par les Tutsis congolais qui peuplent l’Est de la RDC, frontalier du Rwanda, pour se défendre contre ces génocidaires rwandais.
Ceux-ci, après avoir passé la frontière avec le soutien des troupes françaises de l’opération Turquoise, qui avaient décidé de ne pas les arrêter, avaient en effet commencé à opprimer et tuer des Tutsis congolais pour poursuivre leur horrible besogne exterminatrice, devenue impossible au Rwanda. Ces exactions à l’Est du Congo des Hutus rwandais, réunis principalement dans le FDLR, sont bien documentées, notamment par le livre de trois spécialistes allemands, basé sur les abondants documents produits au procès de génocidaires qui s’étaient cachés outre-Rhin. Cet ouvrage de près de 600 pages, Les FDLR, histoire d'une milice rwandaise : des forêts du Kivu aux tribunaux de l'Allemagne, écrit par Dominic Johnson, Simone Schlindwein et Bianca Schmolze (éditions Ch. Links, 2019), suit, selon la quatrième de couverture, « le parcours d'un des principaux groupes armés de l'Afrique des Grands Lacs : Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), organisation politico-militaire des combattants hutu rwandais sévissant dans l'Est de la République Démocratique du Congo. Se référant à une République Rwandaise défunte depuis le génocide de 1994, opérant pendant de longues années avec une structure quasi-étatique dans les forêts du Kivu et une direction politique solidement installée en Europe, les FDLR constituent un cas unique dans la région. Ce n'est que le procès contre leurs dirigeants politiques en Allemagne entre 2011 et 2015 pour crimes contre l'humanité qui a permis d'examiner les FDLR de plus près : leurs racines historiques au Rwanda, leur idéologie mystique, leurs massacres commis à l'est du Congo, leurs agissements internes. Basé sur un trésor de révélations internes et informations confidentiels ainsi que sur des recherches sur le terrain et des analyses historiques, ce livre examine pour la première fois le parcours d'un acteur armé dont l'action reste à ce jour déterminant pour l'avenir de la région des Grands Lacs africains. » Les auteurs soulignent notamment que les FDLR, dirigées depuis l’Europe, bien équipées et entraînées, puisent explicitement leurs références dans une autre grande force génocidaire de l’histoire : « L’histoire militaire allemande est enseignée dans les écoles d’officiers de la forêt congolaise. La Wehrmacht et les soldats SS sont désignés comme l’exemple de la discipline. »
Certes, les FDLR sont aujourd’hui beaucoup moins fortes qu’au début des années 2000 et la grande majorité de leurs soldats sont trop jeunes pour être des génocidaires de 1994, mais ceux-ci continuent de les diriger. Le fait que des génocidaires se trouvent toujours à l’Est de la RDC a été une nouvelle fois confirmée récemment : après sa prise de Goma, le M23 en a capturé plusieurs et les a livrés le 1er mars au Rwanda pour qu’ils soient jugés. Face à la mise en scène spectaculaire du transfert de ces prisonniers au Rwanda, Kinshasa a crié au mensonge, accusant le M23 de montrer des images de faux soldats FDLR. Mais le porte-parole des FDLR en Europe a reconnu qu’il s’agissait bien de vrais FDLR et qu’il y avait parmi eux Ezechiel Gakwarere, officier de l’armée rwandaise en 1994, génocidaire (meurtrier notamment de la dernière reine du Rwanda, la Tutsie Rosalie Gicanda), recherché en vain par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPiR) depuis 30 ans (Libération, 5 mars 2025).
Or, après les avoir combattu naguère, Kinshasa est désormais alliée avec les FDLR, qui « sont même désormais disséminées au sein des forces gouvernementales ou dans d’autres groupes armés », selon le rapport publié en décembre d’un groupe d’experts de l’ONU. Libération du 5 mars 2025 cite également Dominic Johnson, l’un des trois co-auteurs du livre sur les FDLR : « Numériquement, ils [les FDLR] sont moins importants qu’il y a trente ans. Mais leurs unités sont bien entraînées et équipées. Depuis 2022, et jusqu’à la récente prise de Goma par les rebelles, ils agissaient comme une sorte de force spéciale. Mais l’influence des FDLR est aussi politique et idéologique. Ils ont réussi à propager une hostilité au régime de Kigali dans les milieux militaires comme dans la classe politique congolaise. » Plus précisément, selon un haut fonctionnaire de la RDC, « ils ont aussi contribué à la montée des messages de haine contre les Tutsis. Jusqu’à Kinshasa où les Tutsis, mais aussi désormais tous les swahiliphones [la langue partagée par les habitants de l’est du pays], sont assimilés à des “Rwandais” et régulièrement agressés ». L’alliance de Tshisekedi avec les FDLR devrait suffire à ce qu’on lui refuse un quelconque soutien.
L’appropriation des minerais n’est pas la principale raison du conflit entre le M23 et la RDC
On comprend donc que, si le Rwanda a de façon évidente des intérêts à défendre à l’Est de la RDC et soutient le M23 pour cette raison, le conflit en cours ne saurait être réduit à cela. Si c’était le cas, le M23 aurait tenté de prendre le contrôle des mines depuis sa fondation à la fin des années 1990. Or il ne l’a fait que rarement et, s’il exploite la mine de Rubaya depuis fin 2024, il faut se rappeler que des centaines d’autres mines sont contrôlées par des myriades de groupes armés, parfois eux aussi soutenus par des puissances étrangères, sans que la RDC se donne les moyens de les combattre – au contraire, elle s’allie avec eux contre le M23. Certes, la mine de Rubaya est la plus grande mine de coltan en RDC et rapporterait, selon des experts de l’ONU, 300 000 dollars de revenus par mois (soit 3,6 millions de dollars par an). Mais, d’une part, c’est un enjeu secondaire si on rapporte cela au 2,4 milliards de dollars que rapporte chaque année l’exportation de cobalt (la RDC fournit les deux tiers de la production mondiale) et aux 2,7 milliards dus à la vente du cuivre (dont la RDC est le deuxième producteur mondial) – minerais dont les lieux de production ne sont pas au Kivu, mais au Sud-Est, loin du Rwanda. D’autre part, qui exploitait la mine de Rubaya, avant sa prise par le M23 ? Ce n’était pas la RDC elle-même, mais un groupe armé, la Coalition des patriotes résistants congolais-Force de frappe (Pareco-FF), qui exportait déjà ce coltan en passant par le Rwanda, lequel se servait certes au passage – tout comme d’autres matières premières exportées et beaucoup de biens importés, tels que le carburant et l’alimentation, transitent naturellement par ce pays frontalier des deux Kivu, qu’aucune route ne relie au reste de la RDC et qui se situent à 1500 km de Kinshasa (voir Libération du 13 mars 2025). Or les experts de l’ONU et les grandes puissances ne se sont pas indignés que le Pareco-FF exploite pour son propre compte la mine de Rubaya, via le Rwanda. Est-ce parce que le Pareco-FF était allié à Tshisekedi ? Et cette alliance est-elle liée au fait que le groupe Pareco-FF avait lui-même exproprié manu militari le propriétaire précédent, qui n’était certes pas un enfant de chœur, mais avait surtout le tort d’être Tutsi ? Ce vieux député élu depuis 2006, Edouard Hizi Mwagashushu, a été condamné par la justice de Kinshasa à la prison à perpétuité en octobre 2023 (voir Libération du 13 mars 2025). En somme, pour Kinshasa, le problème n’est pas que la mine de Rubaya soit exploitée par un groupe armé, mais qu’elle le soit pas des Tutsis ou des Rwandophones. Il est dès lors problématique que l’on suive Tshisekedi et ses acolytes dans leurs indignations à géométrie variable.
En tout cas, de nombreux chercheurs spécialistes de la RDC s’élèvent contre l’explication, reprise désormais par la plupart des États et des médias, selon laquelle la motivation principale du M23 serait le contrôle des minerais rares. Déjà, dans un livre paru en 2016, Qu'on nous laisse combattre et la guerre finira. Avec les combattants du Kivu, la journaliste et chercheuse française Justine Brabant soutient que la guerre qui règne à l’Est de la RDC (quoique à basse intensité à ce moment-là) « est “mal regardée”. La dimension politique du conflit est souvent escamotée. Il est présenté comme une simple lutte pour l'appropriation des ressources minières de la région, entre mercenaires assoiffés de sang et d’argent. Ces minerais comme le coltan sont bien sûr “des facteurs de perpétuation du conflit”, mais “ils n’en sont pas le déclencheur sinon tous les pays qui en regorgent seraient en guerre” » (Voir le site L’Afrique des idées de mai 2016). Plus récemment, une tribune publiée par l’Institut royal des relations internationales, situé à Bruxelles, écrit : « Si le contrôle des mines était l’objectif du M23, pourquoi ne s’est-il pas concentré de manière plus ciblée sur le contrôle des zones minières au cours des trois dernières années ? Le contrôle du commerce des minéraux ne peut pas être considéré comme le principal moteur du groupe M23 » (cité dans Libération du 13 mars 2025). De même, Jeune Afrique a publié le 12 février un article clairement intitulé : « Non, le conflit en RDC n’est pas qu’une histoire de « minerais de sang ». Judith Verweijen (maîtresse de conférences au département de politique et de relations internationales de l’université d’Utrecht) et Christoph N. Vogel (universitaire, spécialiste des dynamiques de conflit en Afrique centrale) y montrent que, « le Rwanda peut accéder aux minerais congolais, qu’il finance ou non une rébellion ou intervienne avec ses propres troupes. Dans une large mesure, cela est dû au fait que les droits de douane et les taxes au Rwanda sont plus faibles, ce qui incite les producteurs congolais à exporter vers le Rwanda, légalement ou illégalement. Cela implique qu’ils le font de leur plein gré et non sous menace armée. » Dès lors, « aussi séduisante soit-elle », la thèse selon laquelle le Rwanda attaquerait la RDC pour s’emparer de ses minerais est « incomplète et fausse » ; en fait, même « si imputer la crise dans l’est du pays à une simple soif pour les ressources minières est séduisant, les médias internationaux, en se contentant de cette version incomplète, nourrissent un terreau extrêmement dangereux, qui pourrait nuire aux personnes mêmes touchées par la violence ».
Du reste, Christoph N. Vogel avait montré avant même les récentes victoires du M23, dans un livre paru l’an dernier, Conflit, coltan, cliché ? Guerriers, commerçants et sauveurs blancs dans l’Est du Congo (Éd. Mlimani), que l’explication du conflit par le seul prisme du contrôle des minerais, d’autant plus spectaculaire que ces minerais sont au cœur de la high tech et donc des grandes multinationales, était devenue une idée reçue, avec des effets concrets : « Ces minerais, également appelés "minerais numériques" en raison leur utilisation dans les technologies de pointe, ont été désignés par de nombreuses études et rapports des Nations Unies comme des moteurs essentiels de la violence. Cela a suscité une vague médiatique sans précédent et a motivé des initiatives transnationales visant à mettre en place des mécanismes d’exploitation minière "sans conflit" et plus éthiques. » Or « la campagne contre les "minerais de conflit" a mal tourné et a radicalement perturbé l’économie politique de l’Est du Congo », notamment en réduisant les revenus des mineurs congolais, en les poussant à faire passer leurs minerais illégalement par le Rwanda et en modifiant le secteur minier artisanal au profit d’entreprises plus grandes (NOTE 10). Christophe Vogel « démontre comment les plaidoyers et politiques occidentales se sont appuyés sur les cadres coloniaux pour imposer des réformes, et comment l’idéologie du "sauveur blanc" (white-saviourism) qui les sous-tend perpétue la violence et les inégalités dans l’économie politique internationale » (cf. présentation du livre par l’éditeur). Cette analyse de Christophe Vogel est corroborée notamment par un rapport de l’ONG Global Witness, qui montre comment le système de traçabilité ITSI, mis en place depuis le début des années 2010 pour que les multinationales ne s’approvisionnent qu’avec des minerais produits dans des conditions « éthiques » (sans travail forcé, sans travail des enfants, sans alimenter les conflits armés), est contourné massivement par les mines de RDC, qu’elles soient contrôlées par l’État ou par des groupes armés (des quantités astronomiques de minerais sont frauduleusement étiquetés ITSI, avec la complicité de acteurs à tous les niveaux, y compris des fonctionnaires de RDC) et contribue même à aggraver les conflits qu’il prétendait entraver (NOTE 11).
Les spécialistes du génocide rwandais alertent sur « l’antitutsisme, équivalent de l’antisémitisme », qui gangrène la RDC jusqu’au sommet de l’État
Les spécialistes de la RDC et du conflit avec le M23 qui sévit à l’Est depuis 30 ans ne sont pas les seuls à récuser l’idée reçue selon laquelle ce conflit s’expliquerait avant tout par le contrôle des minerais. C’est la position défendue également par une tribune d’éminents spécialistes du génocide rwandais, parue dans Libération du 26 février (NOTE 12). Elle met en garde contre la « thèse manichéenne », désormais reprise par tous les médias, consistant à expliquer l’intervention de Kigali par « le seul fantasme du "pillage des richesses minières du Congo" ». Elle fait remarquer que « la mine de coltan de Rubaya, conquise dès 2024 par les rebelles du M23, rapporte, selon l’ONU, 300 000 dollars par mois. Un enjeu minuscule au regard des ressources du Rwanda et des redevances minières versées par les grandes compagnies occidentales et chinoises à la RDC, qui, selon le FMI, se seraient élevées officiellement à environ 1 milliard de dollars en 2024. Cependant la messe est dite. Il est stupéfiant de voir tant d’analyses s’enfermer dans une stigmatisation exclusive du petit Rwanda, alors que certaines réalités devraient interroger. » La tribune montre ensuite que le principal problème se situe plutôt dans le sort des Tutsis, mais plus généralement des rwandophones qui vivent à l’Est de la RDC. Elle rappelle que, « au Kivu, dès les années 1960, les populations de langue rwandaise ont subi des discriminations politiques et sociales récurrentes. En 1993, ce sont tous les Banyarwanda du Nord-Kivu (tutsi et hutu) qui sont victimes de massacres. Parmi eux, des descendants de travailleurs migrants venus du Rwanda sous la colonisation, des réfugiés rwandais des années 1960, mais aussi d’anciens Rwandophones (les Banyamulenge) qui vivaient là depuis des générations. Au Sud-Kivu, des dizaines des milliers de Banyamulenge ont subi des pogromes systématiques à partir de 1994. Dans la foulée du génocide des Tutsis au Rwanda voisin, lorsque les troupes et miliciens génocidaires défaits traversent la frontière, animés par la même haine qui les avaient conduit à massacrer près d’un million de concitoyens. En traversant cette frontière héritée de la colonisation, ils ont trouvé sur place des Tutsis congolais qu’ils ont évidemment ciblés systématiquement à leur tour. [...] Regroupés depuis l’an 2000, sous le nom de "Forces démocratiques de libération du Rwanda" (FDLR), les génocidaires et leurs descendants n’ont jamais cessé de sévir au Kivu depuis plus de trente ans. Parallèlement, une propagande raciste s’est imposée contre les Tutsis, présentés comme des "nilotiques", selon la légende tenace qui veut que les Tutsis rwandais comme congolais soient des "étrangers" qui auraient remonté le Nil pour s’implanter dans la région. Une rhétorique en tout point comparable à celle des médias rwandais extrémistes au début des années 1990. Hélas, une "solution finale" est brandie encore aujourd’hui dans les réseaux sociaux contre tous les Tutsis de la région des Grands Lacs. "Qu’ils se trouvent un chemin pour aller au Rwanda pendant qu’il est encore temps, [...] sinon leurs corps seront transformés en compost destiné à fertiliser la terre", a récemment déclaré le chef Maï-Maï, Jean-Baptiste Serugo sur X. Le ministre de la Justice Constant Mutamba a plusieurs fois dénoncé la présence d’"infiltrés", visant explicitement les Tutsis congolais qui ne seraient que l’instrument du Rwanda. Comme les Tutsis rwandais avaient tous été accusés d’être des "ibits", "complices", d’une rébellion apparue au Rwanda à l’aube des années 1990. On sait où cette rhétorique a mené. » (NOTE 13) En un mot, en RDC, « l’antitutsisme est l’équivalent de l’antisémitisme ». Or le président Tshisekedi « a renoué avec une rhétorique xénophobe anti-tutsi, censée le rendre populaire, malgré la corruption qui gangrène son régime ». Il a ainsi « trouvé un bouc émissaire ». C’est pourquoi il n’a eu aucun scrupule à s’allier avec les génocidaires des FDLR et avec un groupe de 1000 mercenaires dirigés par le fasciste franco-roumain Horatiu Potra (qui, écrasé par le M23, est revenu discrètement en Roumanie, où il a été arrêté voici quelques semaines pour complot contre l’État après la crise ouverte par l’éviction du candidat d’extrême droite à la présidentielle (NOTE 14)). Pour les auteurs et autrices de la tribune parue dans Libération, quand l’explication du conflit à l’Est du Congo se focalise sur la seule question des minerais, c’est « le génocide des Tutsis du Rwanda (qui) est ainsi relativisé, oublié et même nié ». Car, « qu’ils soient qualifiés de "Rwandophones" ou de "swahiliphones", ce sont bien les Tutsis qui sont menacés d’extermination à Kinshasa et ailleurs en RDC. Comme l’ont récemment rappelé les évêques du pays dans un communiqué s’alarmant de la multiplication des lynchages contre de supposés "Rwandais", en réalité des Tutsis congolais persécutés en raison de leur faciès. »
De même, s’ils accusent Kagamé d’instrumentaliser l’antitutsisme pour justifier sa politique, les chercheurs Jason Stearns et Archie Macintosh rappellent, dans la revue en ligne Afrique XXI, le poids du racisme antitutsi en RDC et son influence mortifère. Par exemple, « en 2023, l’ancien ministre Justin Bitakwira, un allié du président congolais, a déclaré dans une interview : "Un Tutsi est un criminel né. Ils sont tous pareils. Quand on voit un Tutsi, on voit un criminel. Quand ils sont en position de faiblesse, ils peuvent dormir dans votre lit pendant six mois. Et lorsqu’ils accèdent au pouvoir, ils nient vous avoir jamais connu. Je n’ai jamais vu une race aussi méchante. " Boketshu Wayambo, un influenceur populaire de la diaspora, a publié une vidéo sur YouTube dans laquelle il proclame : "Frères à Kinshasa, vous devriez cibler les Rwandais, tous les Tutsis qui sont à Kinshasa... Ils sont en train de transformer la terre de Dieu en un Tutsiland !" Deux universitaires de la région ont dressé une liste de vingt-sept diffusions sur YouTube contenant un discours similaire et visionnées des centaines de milliers de fois. [...] Martin Fayulu, un leader de l’opposition congolaise, a fait de la négation de l’identité banyamulenge [les Banyamulenge sont les Tutsis congolais du Sud Kivu] un argument de campagne ; le député Muhindo Nzangi, qui est ensuite devenu ministre de l’Éducation, a fait des déclarations similaires en 2020 ; et les groupes armés de la province du Sud-Kivu appellent constamment à l’expulsion de tous les Banyamulenge du Congo. Selon Charles Onana [négationniste du génocide tutsi de 1994, très influent sur les réseaux sociaux, à un niveau international], les institutions congolaises ont été systématiquement infiltrées par des Tutsis. Dans un discours tenu à l’université de Kinshasa le 17 mars 2024, il a appelé le gouvernement à traquer et à extirper ces "traîtres " ».
Cependant, dans le même article, Jason Stearns et Archie Macintosh soutiennent que cet antitutsisme structurel n’est pas pour autant la cause qui explique la guerre déclenchée par le M23 en septembre 2021. Au contraire, elle l’aurait plutôt relancé et exacerbé, alors qu’il était nettement atténué au cours des dernières années. On ne peut donc pas dire que le M23 ait lancé son offensive pour défendre les Tutsis dans le sens où il se serait agi d’éviter des pogromes. Mais alors, quelles sont les causes de la guerre actuelle ?
Les causes de la guerre actuelle
Si l’on en croit les spécialistes, elles sont de deux sortes, qui probablement se combinent (NOTE 15). D’une part, le M23 est réapparu parce que le gouvernement de RDC n’a pas tenu ses promesses de démanteler les forces anti-Tutsis à l’Est (nous allons y revenir), de rapatrier les combattants du M23 réfugiés à l’étranger et d’engager leur intégration dans l’armée. Du reste, le M23 avait repris du poil de la bête dès janvier 2017, menant une offensive meurtrière après laquelle il s’était réinstallé dans une petite zone, à la frontière entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda. Comme l’explique le député congolais Juvénal Munubo, « lorsqu’on a vaincu le M23, en 2013, il y a eu un accord signé à Nairobi. Dans cette déclaration, il y avait un certain nombre d’engagements que Kinshasa devait respecter, notamment le rapatriement et un mécanisme de réconciliation. Le problème, c’est qu’avec la fin du mandat de Kabila et l’arrivée de Tshisekedi, en 2019, le dossier M23 n’a été suivi ni par le gouvernement sortant ni par le gouvernement entrant. Il faut donc comprendre que le M23 essaie à présent de se faire entendre en faisant pression sur Kinshasa. » (cité par Hakim Maludi, voir note 15). En particulier, la RDC a adopté le 6 décembre 2020 une loi proscrivant toute intégration d’anciens groupes armés dans les FARDC, ce qui rendait définitivement caduc l’engagement de Nairobi pour ce qui concerne le M23. Il y a cependant eu des négociations entre la direction du 23 et le gouvernement Tshisekedi en 2020-2021. Leur échec peut expliquer la décision du M23 de reprendre les armes : « Cette impasse, ajouté au fait que beaucoup de leurs chefs sont toujours sous le coup des mandats d’arrêt (malgré la recommandation de Claude Ibalanky, l’envoyé du président Félix Tshisekedi dans la région, de leur accorder l’amnistie) ne donnerait guère d’autre choix à leurs dirigeants que de se battre ou de rester dans un exil morne. » (Groupe d’étude sur le Congo, voir note 15). On peut ajouter que ce refus de rapatrier les anciens du M23 et d’intégrer dans l’armée ceux qui le souhaitaient relève non seulement de raisons politiques (la méfiance à l’égard d’anciens ennemis), mais aussi du racisme structurel car des secteurs du pouvoir et de l’armée refusent que les Tutsis et swahilophones soient trop nombreux dans l’armée. En tout cas, il est clair que la RDC porte une lourde responsabilité dans la résurgence du M23.
D’autre part, le Rwanda a soutenu le M23 et probablement donné le feu vert à la reprise du conflit en novembre 2021 car c’est à ce moment-là que Tshisekedi a permis à l’Ouganda de déployer ses troupes au Sud Kivu, au motif de combattre une opposition armée au régime Kampala (ADF), réfugiée dans cette région de RDC. Or l’Ouganda et le Rwanda étaient alors en conflit entre eux et sont structurellement en concurrence pour exercer leur influence à l’Est de la RDC (avec notamment un projet de construction de route entre la RDC et l’Ouganda qui fera concurrence à la route actuelle entre la RDC et le Rwanda) ; le Rwanda a donc considéré que Kinshasa prenait le parti de l’Ouganda et que les troupes ougandaises déployées le menaçaient. D’autant plus que la RDC avait signé dès janvier 2021 un accord militaire avec l’Ouganda et un autre avec le Burundi, laissant le Rwanda de côté. Ces décisions de la RDC en 2021 ont été d’autant plus mal perçues par le Rwanda qu’il y avait eu un rapprochement spectaculaire entre les deux pays, entamé dès l’élection de Tshisekedi et qui semblait prometteur.
Cependant, depuis novembre 2021, les relations entre le Rwanda et l’Ouganda se sont nettement améliorées. De plus, un certain nombre d’indices montre que l’Ouganda soutiendrait lui aussi le M23 et la coalition plus large Alliance du fleuve Congo, quoique discrètement – ce qui inquiéterait au plus haut point les dirigeants de la RDC (Voir l’article de Kristof Titeca, 27 mai 2024, Dans l’Est de la RDC, le trouble jeu de l’Ouganda). Cela montre l’autonomie du M23 à l’égard du Rwanda. En somme, chacun défend ses propres intérêts et le M23, en tant que groupe congolais, a les siens, loin d’être une marionnette du Rwanda.
Il n’est pas possible d’apporter un quelconque soutien à la RDC de Tshisekedi (et LFI doit revoir sa position)
De façon générale, la situation de chaos qui règne en RDC est due aux politiques désastreuses menées successivement par le dictateur Mobutu, les Kabila et, depuis 2019, Tshisekedi. Celui-ci, arrivé au pouvoir par la fraude électorale, entretient une corruption généralisée, refuse de mener une politique qui puisse améliorer le sort de la population, s’allie avec les génocidaires des FDLR comme avec les groupes armés qui pillent les richesses du pays et commettent des atrocités quotidiennes. Désormais, il veut reconfigurer les concessions minières internationales, qui profitent aujourd’hui principalement à la Chine, en faveur des États-Unis, en échange d’un soutien contre le M23 (voir le New York Times du 22 février 2025 et Libération du 13 mars 2025). De fait, les États-Unis ont obtenu, courant avril, l’arrêt des combats entre la RDC et le M23 et une déclaration de principe pour un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, dont le projet a été révélé le 15 mai par Massad Boulos, conseiller principal pour l’Afrique au Département d’État états-unien. En échange, la RDC s’engage à faciliter l’accès des États-Unis à ses minerais, les autorise à faire des investissements massifs sur son territoire et accepte le projet ignoble de recevoir des migrant-e-s expulsé-e-s des États-Unis par le président Trump.
Il est donc erroné de soutenir Tshisekedi, à l’image du camarade Mélenchon, voire de le présenter comme un modèle et un « sage », comme l’a fait le camarade Bilongo. Le président de la RDC n’a aucune légitimité : le peuple congolais va devoir s’en débarrasser au plus vite s’il veut pouvoir reprendre son destin en main. À tout le moins, si LFI n’approuve pas ceux et celles, chercheur/se-s et journalistes, qui sont réputé-e-s comme les meilleur-e-s spécialistes de ces questions (qu’il s’agisse de la dynamique des conflits en RDC ou de l’antitutsisme systémique en particulier), il lui incombe de les réfuter et de proposer des analyses alternatives aussi étayées que les leurs.
Nous ne devons évidemment pas soutenir pour autant le Rwanda du dictateur Kagamé, qui soutient le M23 pour ses intérêts géostratégiques dans la région et détourne une partie des fonds que rapportent les mines congolaises (même s’il n’a pas attendu pour cela la réactivation des opérations militaires du M23 depuis fin 2021 et que cela relève principalement d’accords de fait, souvent illégaux, entre ceux qui exploitent ces mines – État congolais, groupes armés, voire firmes occidentales – et le Rwanda). Du reste, le Rwanda accepte lui aussi la tutelle des États-Unis et vient même de signer pour livrer son étain à la société états-unienne Nathan Trotter, l’un des leaders du secteur. Kagamé devra être également renversé par le peuple rwandais, qui pourra alors reprendre en main les rênes de son existence et notamment réaliser une paix durable avec la RDC.
En attendant, l’exigence de sanctions contre le Rwanda est erronée, car elle revient à faire du Rwanda la cause principale dans la guerre en cours, comme si la RDC n’en était pas coresponsable (ou comme si le fait d’être battue suffisait à en faire une victime). Une vraie solution diplomatique pour un processus de paix est nécessaire, et elle passera notamment par la reconnaissance du M23 comme un acteur politique de la région (ce que refuse Tshisekedi, car il ne voit en lui qu’un outil du Rwanda) et devra, cette fois, obliger la RDC à tenir ses engagements. La RDC doit d’autant plus accepter cela qu’elle subit le rapport de forces, contrairement à 2013, et Tshisekedi pourrait perdre encore beaucoup. En tout cas, de façon générale, nous soutenons inconditionnellement les Tutsis de RDC et les swahilophones congolais en général contre le racisme systémique et les violences qu’ils subissent de la part des génocidaires rwandais réfugiés en RDC, mais aussi de tous les autres racistes qui diffusent leur poison dans la société congolaise.
Pour sortir de la dépendance et de la misère, le peuple congolais doit rompre avec ses dirigeants
Si le pouvoir politique n’était pas aux mains de dirigeants globalement corrompus et soumis (malgré leurs gesticulations épisodiques) aux multinationales des pays impérialistes, la RDC aurait les moyens de mener une politique de développement permettant d’améliorer la situation de sa population – ce qui serait une condition pour mettre fin aux groupes armés. Pays immense, grand comme quatre fois la France, peuplé de 100 millions d’habitant-e-s, la RDC regorge de minerais cruciaux dont les grandes puissances ont un besoin impératif. Elle doit profiter de cette manne financière considérable pour négocier à son avantage les prix à l’exportation des minerais, afin d’en faire bénéficier les travailleurs et la population. Cela passe par la nationalisation de toutes les mines et leur exploitation sous contrôle des populations de chaque région, avec des conditions de travail satisfaisantes. Les profits miniers étant socialisés, ils pourraient être réorientés pour diversifier la production, et ainsi sortir de la dépendance aux minerais. Nationaliser les mines sous contrôle ouvrier permettrait aussi de démanteler les groupes armés, d’écraser ceux qui résisteraient et d’intégrer les autres dans l’armée nationale, qui doit elle aussi passer sous le contrôle démocratique du peuple, avec comme but premier la fin des exactions commises contre les populations, principalement à l’Est du pays.
Enfin, il faudra en RDC comme au Rwanda de vraies élections générales, à partir d’une débat libre et démocratique dans toute la société, avec le droit pour tous les partis de se présenter sans risque, l’interdiction des appels à la haine raciale et un scrutin organisé sous le contrôle d’observateurs indépendants et diversifiés, internationaux et nationaux.
Notes
[1] « Washington, Bruxelles, l’ONU et [...] la France, ont "condamné le soutien que le Rwanda apporte au groupe M23" » (Libération, 19 décembre 2022).
[2] Par exemple, la représentante des États-Unis auprès de l’ONU, Camille Shea, a appelé le 19 février dernier, à la fin immédiate de l’exploitation des minerais congolais par le M23 que soutient le Rwanda (Libération, 13 mars 2025 ; voir https://actualite.cd/2025/02/22/est-de-la-rdc-les-usa-appellent-la-fin-immediate-de-lachat-des-minerais-issus-des-zones#google_vignette).
[3] Comme le note Christophe N. Vogel, spécialiste de la question, « les intérêts géopolitiques et économiques européens au Mozambique ont valu au Rwanda une assistance financière européenne à hauteur d’environ 20 millions d’Euros pour son déploiement a Cabo Delgado. A l’époque cette décision avait déjà fait polémique – et par la suite l’Union européenne s'était "rattrapée" en donnant à l’armée congolaise le même montant. » (Interview au site ACTUALITE.CD, 24 fév. 2024, voir https://actualite.cd/2024/02/24/laccord-ue-rwanda-regards-croises-sur-les-enjeux-regionaux-et-internationaux-avec-dr)
[4] Selon Chrisophe N. Vogel, « un bref regard sur l’Union européenne nous montre qu’il s’inscrit de manière assez indiscriminatoire dans une initiative appelé "Global Gateway", avec laquelle la commission [européenne] cherche à maintenir l’accès au matières primaires – autant avec la RDC, le Rwanda ou tout autre pays [...] il est évident que dans des contextes hors de l’est du Congo, l’Union européenne voit dans le Rwanda un partenaire fiable, dans certaines régions considérées comme stratégiques par certains pays européens. En ce qui concerne l’est de la RDC, un regard vers l’Ukraine nous montre que l’Union européenne valorise généralement le principe de non-ingérence. Au sens large, l’Union européenne entretient, malgré tout, des relations très vivantes et actives avec Kinshasa autant qu’avec Kigali – l’ampleur de projets de développement dans les deux pays y est un indice. Ceci, et une tendance occidentale de balancer souplement entre condamnations légères et laisser-faire peut expliquer que dans la globalité l’Union européenne n’a jusqu’à ce stade pas d’appétit de prendre de positions non-modifiables. » (Article cité.)
[5] Libération, 17 mai 2024. – De façon générale, les articles parus dans ce quotidien sont dus à la journaliste Maria Malagardis, qui est bien informée.
[6] Enquête publiée mi-février 2025 par le quotidien la Libre Belgique, citée par Libération du 13 mars 2025.
[7] Voir Libération du 19 décembre 2022 : « Corrompue, démotivée, [l’armée de la RDC] est davantage réputée pour ses exactions que pour son ardeur au combat. Les forces de l’armée gouvernementale, les FARDC, ont pourtant désormais de nouveaux soutiens. En mai 2022, une alliance a été conclue avec certains groupes armés. L’APLCS de Karairi [violemment anti-Tutsi] en fait partie. La coalition comprend également d’autres mouvements anti-Tutsis, comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), créées par d’anciens responsables rwandais du génocide de 1994. Ou les Nyatura ("Ceux qui frappent sans pitié"), constitué de Hutus congolais » et d’autres « groupes ouvertement sectaires. »
[8] Le M23 conteste les rapports de l’ONU : « Le M23 est accusé par les autorités de Kinshasa d’avoir perpétré un massacre dans le village de Kishishe. Le 29 novembre [2022], des affrontements y ont opposé le M23 à une coalition de groupes armés, ralliés aux forces gouvernementales. Dans un rapport préliminaire publié le 8 décembre, des enquêteurs du Bureau des droits de l’homme de l’ONU accusent le M23 d’avoir tué à l’arme blanche ou par balles 131 victimes civiles, dont 17 femmes et 12 enfants. Ce n’est pas la première fois que le mouvement rebelle est accusé d’exactions. Il s’en défend avec véhémence. "Les enquêteurs ne sont même pas allés jusqu’à Kishishe alors que nous les avons immédiatement invités à le faire. Et aucune liste des noms de victimes n’a été publiée", s’insurge ainsi Bertrand Bisimwa, le président du M23 » (Libération, 20 décembre 2022).
[9] C’est ce que montre Christophe N. Vogel au sujet d’un massacre dans le village de Kishishe (Nord Kivu), commis le 30 novembre 2022 et attribué au M23 : « La nouvelle a rapidement fait le tour des médias internationaux. En l’espace de quelques jours, les spéculations sur le nombre de victimes variaient de 8 à près de 300, alors qu’aucune vérification fiable et indépendante n’avait été effectuée sur le terrain. Kishishe n’est pas facile d’accès. Le village se trouve dans les profondeurs des forêts de Bwito, une chefferie isolée sur le flanc ouest du Parc national des Virunga. Alors que le M23 lui-même, ainsi que les commentateurs basés au Rwanda, ont minimisé l’incident, le gouvernement congolais et ses partisans ont gonflé les chiffres. Plus d’une semaine après le massacre, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Congo (Monusco) a fait état "d’au moins 131" victimes – un chiffre essentiellement extrapolé à partir de sources interrogées dans une base onusienne, qui semble le fruit d’un compromis arithmétique entre les estimations minimales et maximales qui circulaient déjà. À ce jour, aucune autre enquête indépendante n’a été menée sur place. » (Article paru dans la revue en ligne Afrique XXI : https://afriquexxi.info/La-dangereuse-guerre-des-mots-dans-l-est-du-Congo)
[10] Voir déjà l’enquête sur le groupes armés en RDC du Groupe d’études sur le Congo parue en 2015, à laquelle Christophe N. Vogel : « Selon Vogel, il est quasiment impossible de trouver des mouvements rebelles dont la création procède directement d’une stratégie d'accaparement des ressources, à de rares exceptions près, comme le groupe NDC du chef rebelle Shéka, un ancien négociant en minerais. En général, les richesses du sous-sol congolais sont une source avec d’autres de refinancement des opérations militaires, alors que l’économie locale a été profondément déstabilisée. L’agriculture notamment, qui jouait un rôle fondamental dans la région, devient extrêmement difficile dans un contexte de conflit. Les populations sont contraintes de se tourner vers des activités mobiles et de court terme, délocalisables dès que les combats reprennent, comme l'exploitation artisanale des mines… La relation de causalité minerais-guerre est donc inversée. Plus pertinente, la grille de lecture politique s’articule autour de deux axes. Le rapport de l’est de la RDC avec le pouvoir central d’une part, et de l’autre, les rivalités entre États au niveau régional, avec comme point de départ la tension entre le Congo et le Rwanda après le génocide rwandais de 1994. Car c’est un des facteurs fondamentaux du déclenchement de la guerre à partir de 1996. Le Rwanda, qui considère que l’est de la RDC accueille sciemment d’anciens génocidaires, pilote des opérations dans la région, aussitôt interprétées par les Congolais comme des invasions. Puis des groupes armés se forment, soutenus un temps par Kinshasa car ils jouent le rôle d’une armée de substitution face aux velléités rwandaises. Avant que les tensions ne reprennent entre ces groupes armés et le pouvoir central congolais… » (L’Afrique des idées, https://www.lafriquedesidees.org/repenser-guerre-rdc/, mai 2016).
[11] La laverie ITSI. Enquête sur un programme de diligence raisonnable apparemment impliqué dans le blanchiment de minerais de conflit (avril 2022).
[12]Tribune signée par Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherches honoraire au CNRS, Vincent Duclert, historien, chercheur titulaire au Cespra (EHESS-CNRS), Stéphane Audoin-Rouzeau, historien, Boubakar Boris Diop, écrivain, Hélène Dumas, historienne du génocide des Tutsis, Patrick de Saint-Exupéry, journaliste, écrivain, Samuel Kuhn, enseignant, historien, Annette Becker, historienne des génocides, Marcel Kabanda, historien, Florent Piton, historien, université d’Angers, Juliette Bour, historienne, Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Guillaume Ancel, ancien officier et écrivain français, chroniqueur de guerre, Annie Faure, médecin humanitaire au Rwanda en 1994, auteur de Blessures d’humanitaire, Dominique Celis écrivaine.
[13] Voir déjà Libération du 20 décembre 2022, article terrible que nous devons citer longuement : le général Karairi, « chef de guerre maï-maï, comme on appelle les groupes d’autodéfense traditionnels, est le leader incontesté de l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS). [...] En 2012, dans une interview accordée à des journalistes occidentaux, Karairi s’affichait d’emblée "anti-Tutsi", refusant de reconnaître la nationalité congolaise à cette minorité. Elle est pourtant depuis longtemps présente au Congo, comme dans plusieurs pays de cette région de l’Afrique des Grands Lacs. Mais aujourd’hui [en 2022], comme il y a dix ans, c’est avant tout pour combattre le Mouvement du 23 mars (M23), un mouvement rebelle identifié aux Tutsis, que le général maï-maï rassemble ses troupes à Kitshanga. Ce 28 novembre à Kitshanga, les images filmées montrent le cortège du général Karairi traverser en trombe un rond-point entouré de bicoques misérables. Au passage du convoi, des enfants entonnent une chanson aux accents joyeux. "Une chorale évangélique de la haine tribale", s’indignera dans un communiqué officiel Serge Muhizi Muheto, le vice-président d’une structure communautaire qui rassemble toutes les ethnies du Masisi. Il traduit les paroles chantées par les enfants : "Les Tutsis, rentrez chez vous ! Karairi vient d’arriver chez eux !" La chanson se réjouit aussi du «programme de Karairi", qui serait "de semer la terreur aux Tutsis". Muheto a beau implorer la population de "se désolidariser" de ces propos, des commerces appartenant à des Tutsis sont saccagés à Kitshanga. Le 8 décembre, on retrouve à une dizaine de kilomètres le corps décapité d’un jeune bouvier tutsi, Jacques Manuvo, enlevé dans la ferme où il travaillait. Il n’est pas la seule victime de cette nouvelle flambée de violences. "Dès l’arrivée de Karairi, on pouvait craindre le pire", se désole Emmanuel Kamanzi, président d’une association d’éleveurs du Nord-Kivu. Depuis quelque temps, son téléphone vibre sans cesse. Inondé d’appels à l’aide, répercutant, photos à l’appui, d’innombrables exactions. Un écho mortifère qui est parvenu jusqu’à New York. Le 30 novembre, la conseillère spéciale pour la prévention du génocide auprès de l’ONU, Alice Wairimu Nderitu, qui revient d’une visite en RDC, s’alarme officiellement, dans une longue déclaration écrite, de "la prolifération des discours de haine" en RDC. "La violence actuelle est un signal d’alarme de la fragilité de la société et la preuve de la présence prolongée des conditions qui ont permis de déboucher sur un génocide dans le passé." Une référence claire au génocide des Tutsis au Rwanda voisin, en 1994. Mais son cri d’alarme passe relativement inaperçu. [...] Début décembre, une ONG locale a aussi publié un rapport sur les attaques récurrentes contre les Tutsis dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Evoquant là encore «un processus génocidaire en marche», le document énumère une longue liste de morts par localité, depuis 2017 ou 2018. Sont également répertoriés les maisons incendiées, le bétail pillé ou mutilé. Ludovic Kalengay, l’auteur de ce rapport, n’est ni un opposant ni le porte-parole de la communauté tutsie. Il collabore fréquemment avec les autorités de Kinshasa et est originaire du Kasai, comme le président Felix Tshisekedi. D’ailleurs, Kalengay reste persuadé que le chef de l’Etat congolais ne cautionne pas ces dérives. En juin pourtant, c’est bien l’un des dirigeants de la jeunesse du parti présidentiel, Jules Munyere, qui a publiquement appelé à la chasse aux Tutsis. En toute impunité. "Beaucoup de responsables politiques n’osent pas dénoncer ouvertement ces appels à la haine. De peur de perdre des voix, alors que les élections présidentielles auront lieu dans un an. Et ce populisme anti-Tutsis prospère", déplore Ludovic Kalengay. "Ces attaques anti-Tutsis ne sont pas nouvelles. Mais elles se multiplient à l’approche d’élections, lorsque les relations se dégradent avec le Rwanda ou que resurgit un mouvement rebelle identifié à notre communauté", renchérit Me Ally Kabengera, qui représente la communauté tutsie du Nord-Kivu. L’avocat affirme qu’en seulement trois mois, d’octobre à décembre, "55 Tutsis ont été assassinés et 852 vaches volontairement mutilées" au Nord-Kivu. "Il suffit parfois d’avoir une certaine morphologie, nez fin et minceur, pour désigner la cible", explique Pierre, un habitant du quartier Mabenga Sud à Goma. Le 26 novembre, c’est à quelques mètres de chez lui qu’un homme a été tué. "Le gars avait bu, il titubait un peu. Un groupe de vigilance qui surveille le quartier l’a accusé d’être un voleur, puis d’être un Rwandais infiltré. Il a été tabassé puis brûlé vif. Personne n’a osé intervenir par crainte d’être accusé de complicité", souligne le jeune homme. La police a fini par intervenir, le corps de l’homme a été envoyé à la morgue. "Mais il n’y a eu aucune arrestation", affirme Pierre. [...] "Aujourd’hui, les Tutsis vivent dans la psychose d’un génocide. A Goma, nous avons tous peur d’être ciblés. 59 membres de notre communauté sont en prison. Accusés, sans aucune preuve, d’être liés au M23", s’inquiète David Karambi, le président de la communauté tutsie du Nord-Kivu. "Dans le Masisi, les groupes armés ont demandé aux Tutsis de se rassembler dans des centres de santé, au prétexte de vérifier qu’ils ne font pas partie du M23. Ils ont refusé. On sait bien comment ces regroupements ont été utilisés pour tuer plus facilement en 1994 au Rwanda", souligne encore David Karambi qui évoque, vidéo à l’appui, la fuite de près de 5 000 Tutsis de la zone de Kitshanga, le 7 décembre. [...] Depuis longtemps abandonnées par l’Etat, toutes les populations civiles dans cette région troublée sont en réalité impuissantes et victimes de ces groupes armés. "Mais aujourd’hui les Tutsis sont le groupe le plus menacé", constate Me Kabengera. "L’histoire tournerait-elle donc en boucle ? Le “haut mal” du Rwanda contaminant toujours d’avantage l’Est du Congo ?", s’interrogeait mardi Colette Braeckman, spécialiste incontestée de la région dans le quotidien belge le Soir. »
[14] Libération 13 mars 2025. – Voir aussi l’interview de Potra à Goma par Olivier Liffran et Joan Tilouine en mars 2024 pour la revue XXI : https://revue21.fr/article/de-mysterieux-instructeurs-au-secours-de-letat-congolais/
[15] Voir l’article du Groupe d’étude sur le Congo du 1er avril 2022 (https://www.congoresearchgroup.org/fr/2022/04/01/la-resurgence-du-m23-du-deja-vu/) et celui de Hakim Maludi paru le 23 mai 2022 sur le site en ligne Afrique XXI (https://afriquexxi.info/Congo-Kinshasa-Pourquoi-le-M23-renait-de-ses-cendres)