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Ce que dit aussi la Cour des comptes sur la Sécurité sociale

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Lien publiée le 17 juin 2025

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Ce que dit aussi la Cour des comptes sur la Sécurité sociale | Alternatives Economiques

La Cour des comptes est parfois réputée pour être une institution austère fournissant des justifications aux réformes de casse du service public. Elle a par exemple été qualifiée de « cerbère de l’austérité ». Elle est probablement cela, mais pas seulement.

Lorsque le lecteur parcourt attentivement les rapports qu’elle publie, il se rend compte de ce biais austéritaire. Mais lorsque le même lecteur écoute la teneur du débat public prétendument fondé sur les rapports publiés, un autre biais se manifeste : seuls les arguments promouvant le recul du service public sont discutés, le reste étant superbement ignoré.

Le rapport de la Cour de comptes sur la Sécurité sociale publié en mai 2025 n’échappe pas à cette double malédiction. Le rapport fait la part belle à la critique de la Sécurité sociale et à l’injonction à son cantonnement. Mais s’y trouve aussi un bilan sévère des politiques menées ces dernières années. Or, de ce bilan, il n’est pas question dans le débat public, où la dramatisation habituelle autour du « trou de la Sécu » impose à chacun de « faire des efforts » – c’est-à-dire d’accepter une réduction des droits.

Un allègement coûteux des cotisations sociales

Le chapitre III du rapport est pourtant si vivifiant ! Il porte sur l’évaluation des allégements généraux de cotisations sociales et montre combien cette politique publique est coûteuse : non seulement elle implique des pertes de recettes pour la Sécurité sociale, mais en plus elle peine à montrer son efficacité à améliorer le niveau de l’emploi. Cette formulation est toute personnelle, mais pour montrer qu’elle correspond bien à l’esprit du chapitre, je vais citer abondement la prose de la rue de Cambon.

Le titre de la première section, éloquent, évoque un allègement du coût du travail « insuffisamment piloté et évalué »

Le titre de la première section, éloquent, évoque un allègement du coût du travail « insuffisamment piloté et évalué ». Depuis 1993, la réduction des cotisations sociales est menée au nom de l’emploi. Même si le taux de chômage a baissé durant la période, il n’est pas possible de « déterminer rigoureusement le degré de causalité ».

Les évaluations plus récentes sont en particulier « incertaines en raison des nombreuses réformes appliquées, de la crise sanitaire et du retour de l’inflation ». La sensibilité de l’offre d’emploi au coût du travail au niveau du Smic « ne serait plus aussi importante qu’auparavant ». Autrement dit, mis à part dans les années 1990, il est difficile d’attribuer la baisse du taux de chômage à la réduction des cotisations.

Notons au passage que le rapport euphémise l’état d’un débat dans lequel certains économistes vont plus loin dans la démonstration d’inefficacité des allègements de cotisations sur la création d’emploi (voir ici et par exemple).

Une stratégie qui a fait son temps

Quoi qu’il en soit, il semble – de l’aveu même de la Cour – que cette stratégie a fait son temps. C’est d’autant plus important pour le débat public que les allègements de cotisations sont devenus « le premier instrument financier de la politique de l’emploi », représentant 39 % de son montant total (179 milliards d’euros en 2022).

Cette politique publique est de plus en plus coûteuse puisque, selon la Cour, entre 2014 et 2024, le total des allègements généraux de cotisations patronales du secteur privé a presque quadruplé, passant de 20,9 milliards d’euros à 77,3. Pour le secteur privé, les allègements généraux représentaient 4 % de la masse salariale en 2014 contre 10,6 % en 2024.

Comment justifier qu’une politique publique de moins en moins efficace soit de plus en plus généralisée ?

Tout cela alors que les allégements généraux « ne sont soumis ni à condition ni à contrepartie pour l’employeur qui en bénéficie ». Comment justifier qu’une politique publique de moins en moins efficace soit de plus en plus généralisée ?

Face à cette fuite en avant, même la « majorité » présidentielle a dû revoir sa copie. Elle l’a fait avec le projet censuré de l’ex-Premier ministre Michel Barnier mais aussi avec des mesures plus ponctuelles comme la révision des plafonds d’éligibilité aux baisses de cotisation. Elle l’a fait encore en créant un maximum annuel d’exonération et d’exemption de cotisations sociales, mais celui-ci n’est « pas contraignant » et donc « largement dépassé » chaque année.

Des pertes croissantes

La deuxième section du rapport s’intéresse à l’autre conséquence des allègements généraux : les pertes de recettes pour la Sécurité sociale. D’après la loi du 25 juillet 1994, les exonérations de cotisations sociales doivent donner lieu à une compensation par l’Etat. Or les dérogations se sont multipliées, si bien que cela « a conduit à des pertes croissantes pour la Sécurité sociale et à une augmentation de la dette sociale ».

Par exemple, la transformation du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allégements généraux de cotisations en 2019 à conduit à la baisse de 6 points de cotisations maladie compensée par l’affectation d’une fraction de TVA. La compensation est cependant insuffisante par rapport aux pertes de recettes, de l’ordre de 3,9 milliards d’euros en 2024. Pour l’ensemble des allègements généraux, la perte en 2024 est de 5,5 milliards d’euros, entraînant un endettement supplémentaire de 18 milliards d’euros depuis 2019.

Le rapport suggère clairement qu’il faut « atténuer l’ampleur des allègements de cotisations tout en limitant les conséquences sur l’emploi »

Le rapport insiste sur l’opacité concernant la compensation des pertes de recettes. Plus important encore, il suggère clairement qu’il faut « atténuer l’ampleur des allègements de cotisations tout en limitant les conséquences sur l’emploi ». On comprend les prudences lexicales, mais l’essentiel est là. La Cour des comptes propose d’élargir l’assiette en intégrant les compléments de salaire dans le calcul des plafonds d’éligibilité aux allégements généraux.

Elle propose aussi de réduire le plafond d’éligibilité de la baisse des cotisations d’allocation familiales à 2,5 Smic. En effet, selon elle, la compétitivité des entreprises à l’international dépend d’autres facteurs que le coût du travail comme le taux de change, les tarifs douaniers, le coût de l’énergie.

Il est possible d’orienter autrement le débat public

Que retenir de ce chapitre III ? On peut bien sûr en vouloir plus. Une critique plus sévère des effets des baisses de cotisations sociales sur l’emploi, une discussion plus exhaustive intégrant les allègements spécifiques et les exemptions de cotisations sociales qui sont hors du champ du rapport, etc.

Une mise à jour du graphique 18 du rapport 2024 de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale aurait été une bénédiction. Celui-ci montrait que les pertes de recettes liées aux compléments de salaire étaient supérieures au déficit de la Sécurité sociale.

Mettons tout cela de côté. La lecture de ce chapitre montre qu’il est possible d’orienter le débat public autrement, même à partir d’une source réputée conservatrice.

Bien sûr, vous entendrez parler du chapitre I sur le « creusement du déficit inédit hors période de crise ». Mais maintenant, vous pourrez répondre que le chapitre III identifie clairement une partie significative du problème : la perte de recettes organisée au nom d’une politique de l’emploi peu efficace.