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ArcelorMittal : une autre nationalisation est possible

Lien publiée le 18 juin 2025

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.revolutionpermanente.fr/ArcelorMittal-une-autre-nationalisation-est-possible

Le conflit des ArcelorMittal a remis le mot d’ordre de nationalisation dans le débat public. Le mouvement ouvrier peut la conquérir, pas par en haut avec l’aide de Macron ou du patronat de l’industrie française mais en prenant confiance en ses propres forces. Une telle victoire dépasserait les frontières de l’entreprise et favoriserait une reprise de la lutte de classes en France.

La CGT a annoncé que quatre cents plans de licenciements sont en cours en France. Au total, 245 000 emplois sont concernés, c’est trois fois plus qu’il y a un an. Dans ce panorama de casse sociale, le conflit des ArcelorMittal revêt une importance particulière. Aujourd’hui, la menace des 636 suppressions d’emplois annoncées par la direction du groupe contribue à remettre la question de la nationalisation dans le débat public.

Le mot d’ordre, porté dans le conflit par la CGT, avait presque disparu du vocabulaire de la gauche institutionnelle, et était notamment absent du programme porté par le Nouveau Front populaire. Aujourd’hui, il est défendu, dans le cas d’Arcelor, par diverses forces de gauche, du PCF à La France insoumise. Macron lui-même reconnaît son potentiel subversif lorsqu’il rejette toute perspective de nationalisation. S’il le fait, ce n’est pas pour des raisons techniques ou économiques, mais pour couper court à l’idée qu’il est possible de résoudre les crises en touchant à la propriété privée des entreprises.

Une logique « possibiliste »

Les rapports solides et chiffrés publiés par la gauche institutionnelle ou syndicale montrent l’absurdité des arguments avancés par Macron pour refuser la nationalisation. Mais en se centrant exclusivement sur la « possibilité » du projet, leurs propositions traduisent une logique de nationalisation « par en haut » dans laquelle les salariés occupent une place passive et extérieure au processus, les exposant à toutes les trahisons et n’offrant aucune garantie pour leurs emplois.

D’abord, aucun de ces rapports ne considère la possibilité d’une confiscation ou d’une réquisition sans indemnités de l’entreprise et n’envisage d’autre possibilité que de payer le patron d’Arcelor, entre 1 et 4,4 milliards selon les estimations. Cette même entreprise est pourtant arrosée d’argent public depuis des années et a profité de l’inflation pour engranger, depuis 2011, un bénéfice cumulé de près de 125 milliards d’euros. La direction s’est même permis, en même temps qu’elle annonçait ses suppressions d’emplois, de participer au rachat pour un milliard d’euros d’un club de NBA.

Si nous défendons, avec Révolution Permanente, la nationalisation d’ArcelorMittal sans indemnité ni rachat, c’est d’abord parce que nous considérons qu’aucun argent public ne devrait atterrir dans les poches de ceux qui en profitent déjà sur notre dos. Mais c’est aussi pour ne pas réduire la nationalisation à une question budgétaire. En discutant de la nationalisation sous le prisme du rachat, les économistes de la gauche institutionnelle s’enferment dans un débat sur ce qui est possible et réaliste dans le cadre du système actuel. Avec un déficit et une dette élevés, cela revient à arbitrer entre une nationalisation et les autres : l’argent disponible aujourd’hui ne le sera plus demain. En nous cantonnant aux règles du jeu imposées par le capitalisme, nos arguments d’aujourd’hui serviront, demain, ceux de nos adversaires.

Par ailleurs, bien que ce soit sa prétention de départ, une nationalisation n’offre, en elle-même, aucune garantie pour l’emploi. Il suffit de rappeler combien le bilan de la nationalisation de la sidérurgie sous François Mitterrand en 1981 a été, du point de vue de l’emploi, un véritable carnage : 12 000 suppressions d’emplois en 1982 auxquelles se sont ajoutées, deux ans plus tard, 21 000 suppressions supplémentaires. Il y a fort à parier qu’une nationalisation sous Macron ne conduirait pas à un résultat différent.

Il existe d’ailleurs une longue histoire de trahisons des travailleurs de la sidérurgie. Du fait de la place stratégique de ce secteur dans l’appareil productif français, leurs luttes ont souvent pris une dimension politique et ont conduit de nombreux présidents à prendre position. Outre le mitterrandisme, ils ont vu Sarkozy leur promettre que « l’Etat ne laissera pas tomber Gandrange » avant qu’il ne la laisse finalement fermer, mais aussi François Hollande en campagne, affirmer « moi président, je n’accepterai pas qu’on ferme Florange », dont les fourneaux fermeront pourtant quelques mois plus tard. Comme l’a affirmé Jean-Paul Delescaut, secrétaire de l’Union départementale CGT du Nord devant les grévistes d’Arcelor : « Pour être sûr [qu’il n’y ait pas de licenciement], on demande la nationalisation intégrale et sous contrôle des travailleurs et de leurs délégués. Il n’y a que comme ça qu’on gagnera ». Christian Porta, délégué CGT de Neuhauser, dans l’Est, abondait dans le même sens dans son soutien aux grévistes de Florange : « Vous avez été trahis par tous les gouvernements successifs, on peut pas faire confiance à Macron. La nationalisation doit se faire sous contrôle des travailleurs ! »

Du réalisme économique au réalisme politique

Dans les années 1980, la gauche de gouvernement justifiait ses renoncements au nom du réalisme économique face à la concurrence internationale et à la baisse de la demande d’acier. La viabilité capitaliste a servi et sert encore d’argument central pour justifier les suppressions d’emplois. Le rapport de LFI sur ArcelorMittal ne prend pas position sur ce point et se contente de chiffrer le coût d’une nationalisation de l’entreprise. Celui de la CGT AMF Dunkerque est plus conséquent et tente de tenir compte de ce problème en mentionnant à juste titre l’exemple de la nationalisation des années 1980 et la rapide privatisation qui l’a suivie et en lui opposant l’objectif d’une « nationalisation pérenne ». Pour assurer cette dernière, le rapport propose de combiner la nationalisation avec des mesures protectionnistes : « la nationalisation n’étant qu’un premier pas dans une stratégie de reconquête d’une autonomie dans le domaine de l’industrie de l’acier, le volet protection doit donc prendre le relais, avec des mesures incitant les consommateurs d’acier à se fournir auprès des producteurs domestiques », mesures qui pourraient se traduire par « des droits de douane prohibitifs » ou par un renforcement du « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) », sorte de « protectionnisme vert » mis en place à l’échelle européenne.

Comme on l’a écrit ailleurs, le protectionnisme, même dans ses variantes de « gauche », pousse le mouvement ouvrier à rechercher des alliés du côté de ses ennemis « locaux » et « nationaux » contre un ennemi supposé commun à l’extérieur. Dans une lettre ouverte, la CGT Arcelor encourage à « dépasser les clivages politiques » et à faire l’union de « l’ensemble des parlementaires » autour d’une forme de souverainisme industriel : « Sans acier, il ne peut y avoir de souveraineté nationale ! », écrivent-ils. Le risque de passer du réalisme économique au réalisme politique n’est pas loin : en cherchant à amadouer les parlementaires, on se place sur leur propre terrain surdéterminé par la militarisation en cours. Le patronat de la sidérurgie a une longue tradition de cooptation par le protectionnisme. En 2016, le lobby européen de l’acier Eurofer avait même appelé les travailleurs à manifester contre la « concurrence de l’acier chinois », l’organisation fournissant elle-même bus et sandwichs aux manifestants ! Malheureusement, le syndicat européen IndustriAll Europe est poreux à ces appels patronaux. Tout récemment encore, organisations patronales et syndicales ont porté ensemble des recommandations à la Commission européenne, qui ont d’ailleurs été majoritairement reprises dans le plan acier qu’elle a présenté en mars dernier.

Une autre nationalisation est possible

Les trahisons politiciennes et les attaques patronales clarifient une chose : le mouvement ouvrier ne peut compter que sur ses propres forces. Aujourd’hui, alors qu’Arcelor est le conflit sur l’emploi le plus en vue, le mouvement ouvrier a intérêt à soutenir ce combat et ne pas le laisser isolé. Il ne s’agit pas seulement de solidarité, mais d’un intérêt objectif pour l’ensemble des travailleurs. Si une défaite, surtout si elle se fait sans bataille et dans l’isolement, pèserait sur le moral de la classe travailleuse, une victoire des Arcelor donnerait au contraire confiance à tous et toutes dans leurs capacités à faire reculer le grand patronat.

Lénine disait que les militants révolutionnaires considèrent chaque grève ponctuelle comme une « école de guerre » et tentent de généraliser, par la pratique, les leçons d’un conflit isolé pour élever la conscience de plus larges secteurs de la classe. C’est dans cette même perspective qu’il faut considérer le mot d’ordre de nationalisation dans le conflit d’ArcelorMittal. L’aborder comme une mesure technique, comme le font les rapports évoqués plus haut, c’est s’épuiser à chercher les meilleurs arguments pour convaincre le gouvernement ou le patronat, en insistant sur la faisabilité et la possibilité de telle ou telle mesure dans le système actuel. Ce logiciel est réformiste et part du principe qu’on peut obtenir des avancées sociales par compromis successifs avec les capitalistes, par les méthodes du dialogue social plus ou moins musclé. Dans ce même scénario, les luttes ne sont pas forcément absentes mais leur rôle se réduit à faire pression sur les institutions. A l’inverse, faire de cette lutte une école de guerre c’est considérer la nationalisation comme un mot d’ordre de lutte et un objectif à arracher par les travailleurs, dans une stratégie qui se fonde sur la construction d’un rapport de force dans et hors l’entreprise. Une telle nationalisation ne se fait pas « par en haut », mais bien « par en bas », et pose la question du contrôle ouvrier de la production, en assumant remettre en question la propriété capitaliste.

Une telle nationalisation permettrait aussi de poser différemment le problème de la « viabilité ». Dans un logiciel réformiste, une entreprise nationalisée doit s’assurer des débouchés pour vendre ses produits, et, dans un tel scénario, ces débouchés sont assurés par les taxes douanières qui permettent d’imposer aux capitalistes français d’acheter l’acier français. Cette hypothèse ne tient pas compte de la dynamique propre à la guerre commerciale et du protectionnisme des pays voisins. Les économistes devraient intégrer à leurs modèles pas seulement les effets espérés de leurs mesures, mais à envisager les réponses géopolitiques des économies concurrentes – en l’occurrence, rien de moins que la première puissance impérialiste, les États-Unis, mais également la Chine et ses énormes capacités de production d’acier. Plutôt que d’espérer convaincre les capitalistes d’acheter de l’acier « made in France » [1], une nationalisation sous contrôle ouvrier d’ArcelorMittal serait un point d’appui énorme pour faire contagion à d’autres secteurs. Aux mots d’ordre de défense des « fleurons industriels » français, une telle nationalisation substituerait une fierté des travailleurs des autres secteurs pour leur « fleuron de la classe ouvrière ». Dans les années 1970, lors de la gestion ouvrière de LIP, on voyait de nombreux ouvriers acheter des montres pour soutenir leur production. De même, la solidarité avec les Arcelor pourrait s’exprimer par des grèves dans d’autres entreprises de métallurgie pour imposer d’acheter l’acier des Arcelor.

De l’école de guerre à celle du socialisme

La nationalisation d’Arcelor sous contrôle des travailleurs ouvrirait deux champs des possibles supplémentaires pour élargir cette question de la « viabilité ». Premièrement, cela ouvrirait la possibilité de penser à la reconversion de la production du groupe à partir de critères sociaux et environnementaux décidés démocratiquement. Deuxièmement, le contrôle ouvrier permettrait de poser la question du partage du temps de travail, pour que les gains de productivité du secteur ne débouchent plus sur des suppressions d’emplois mais au contraire sur une baisse générale du temps de travail sans baisse de salaire [2]. Ainsi, le contrôle ouvrier serait un premier pas vers l’économie planifiée et socialisée [3].

NOTES DE BAS DE PAGE


[1] La direction confédérale, dans son programme de « 16 mesures » que nous avons analysé, cherche à convaincre les capitalistes d’acheter non plus en fonction de critères de rentabilité, mais en fonction de critères nationaux. Plutôt que de chercher à imposer par le rapport de force un contrôle ouvrier sur la production, celle-ci espère retourner le nationalisme contre les grands groupes, en proposant des mesures protectionnistes mais aussi des mesures insignifiantes comme l’ajout d’un index sur le nombre d’achat "made in France" des entreprises, que les CSE pourront consulter


[2] Ces dernières décennies, cette surcapacité industrielle est allée de pair avec des suppressions d’emploi massives, car les énormes gains de productivité ont bénéficié aux capitalistes. L’exemple de la sidérurgie française est en ce sens particulièrement parlant. Entre les années 1970 et les années 2000, la production s’est maintenue autour de 20 millions de tonnes par an, mais le secteur est passé de 150 000 travailleurs à 50 000 dans la même période. Autrement dit, la productivité a été multipliée par trois mais c’est le patronat qui en a profité pour supprimer des emplois. Le programme ouvrier avance une autre perspective pour répondre à ce problème, celui du partage du temps de travail entre tous et toutes et sans baisse de salaire. Plutôt que de maintenir une poignée travaillant à l’usine 40h/semaine pendant que d’autres pointent au chômage, les gains de productivité posent plus que jamais cette urgence au mouvement ouvrier


[3] Comme l’écrit Trotsky dans une lettre de 1931, une fois enclenchée, la dynamique du contrôle ouvrier dépasse largement le cadre des entreprises isolées. « Dans un pays si hautement industrialisé que l’Allemagne, les seuls problèmes de l’exportation et de l’importation doivent immédiatement élever le contrôle ouvrier jusqu’aux tâches générales de l’État et opposer les organismes centraux du contrôle ouvrier aux organes officiels de l’État bourgeois. ». Ainsi, en se développant, le contrôle ouvrier deviendra « l’école de l’économie planifiée, […] le premier pas dans la voie de la direction socialiste de l’économie »